Le Conseil de la concurrence censuré par la Cour administrative
Le 1er juin 2017, la Cour administrative a rendu un arrêt dans une affaire très importante relative à une condamnation de l’entreprise Post pour abus de position dominante. Le Conseil de la concurrence (ci-après « le Conseil ») avait infligé, par sa décision du 13 novembre 2014, à Post une amende de 2.520.000 euros, la plus importante amende depuis sa mise en place.
Le Tribunal administratif censurant, par son jugement du 21 novembre 2016, la décision du Conseil, l’État a interjeté appel. La Cour administrative vient de confirmer le jugement de première instance.
La Cour confirme la décision antérieure du Tribunal administratif concernant le non-respect du délai raisonnable dans le cas d’espèce. En effet, la première communication des griefs n’a eu lieu qu’en 2014, donc huit ans après la première plainte à l’encontre de Post et l’annulation en 2008 des mesures conservatoires. Les juges estiment que de telles affaires nécessitent une intervention de la part du Conseil à brève échéance en vue de protéger les autres acteurs du marché et de répondre à une situation actuelle en sachant qu’il s’agit d’un domaine technologique et économique extrêmement évolutif. Toutefois, il convient de noter que de manière isolée le dépassement du délai raisonnable n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la procédure menée. Ce sont des irrégularités multiples sur la toile de fond de ce dépassement qui sont à l’origine de l’annulation de la décision du Conseil
Le Conseil a intérêt à respecter le droit à ce qu’un procès se déroule dans un délai raisonnable, droit consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne les demandes de renseignements, il convient d’abord de noter que, sous peine de nullité, ces demandes doivent indiquer la base juridique et le but les sous-tendant, et encore les sanctions prévues au cas où un renseignement inexact ou dénaturé serait fourni. Or, les demandes de renseignements adressées à l’entreprise visée ne contenaient pas ces informations essentielles. Dans ce contexte, la Cour a précisé qu’il ne suffit pas que l’entreprise visée aurait été bien au courant dans quel dossier la demande de renseignements lui avait été adressée et aurait bien saisi la portée de celle-ci par rapport aux informations y demandées.
Par ailleurs, dans la mesure où le but poursuivi par la demande de renseignements, de même que l’indication des sanctions encourues en cas de fourniture d’un renseignement inexact ou dénaturé, sont à entrevoir de manière globale, il est inutile d’établir un lien causal entre la demande de renseignements et le grief finalement retenu par l’autorité de décision afin de sous-tendre sa décision de condamnation. Cet élément a à son tour conflué dans la décision globale d’annuler la décision critiquée du Conseil.
Quant à la détermination du marché pertinent, le Conseil ayant repris les définitions de marché retenues par l’Institut Luxembourgeois de Régulation, la Cour exige l’existence d’une analyse propre ainsi qu’« une analyse concrète effectuée ex post sur base de la situation effective sur le terrain durant les deux années en question en relation avec l’absence éventuelle d’un pareil marché spécifique des offres multi-produits ». Dans une situation concurrentielle et un marché extrêmement évolutif, il aurait appartenu au Conseil de mener une telle analyse en dégageant les éléments permettant de définir/caractériser une pareille marche spécifique.
L’argument susmentionné constitue un volet essentiel et considérable de la décision d’annulation prononcé par le Tribunal administratif dans la mesure où cette définition du marché est à la base des raisonnements ultérieurs.
En conclusion, le Conseil doit faire respecter les garanties procédurales lors de ses enquêtes, procéder à une application stricte du droit et mener sa propre analyse afin de déterminer le marché pertinent. Le Conseil n’ayant pas respecté ces obligations dans l’affaire en cause, la Cour administrative a confirmé à bon escient le jugement de première instance.
En route vers une nouvelle loi relative aux marchés publics
Le 23 mai 2017, le Conseil d’État a présenté son avis par rapport au projet de loi n° 6982 sur les marchés publics et, un mois plus tard, la Commission du développement durable de la Chambre des Députés a amendé le projet de loi afin de tenir compte de l’avis du Conseil d’État.
Le projet de loi visé transpose la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et la directive 2014/25/UE du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, qui auraient dû être transposées au plus tard le 18 avril 2016.
Le projet de loi se veut innovateur. En ce sens, les opérateurs économiques doivent se conformer aux obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail, de manière à ce que les marchés publics deviennent un instrument de politique sociale et environnementale. De surcroît, toujours dans l’objectif d’une modernisation du droit applicable aux marchés publics, les procédures respectives devraient être simplifiées afin de les rendre plus effectives. Donc, en général, le projet de loi va dans le bon sens.
Or, il est à noter que le Conseil d’État a formulé plusieurs oppositions formelles, liées à des mauvaises transpositions du texte des directives, même si cet organe n’a émis aucune critique majeure par rapport au fond du projet de loi.
Un aspect qui paraît tout de même intéressant à relever porte sur l’article 14 du Projet de loi. En effet, suite à l’avis du Conseil d’État, la Commission parlementaire a adopté une modification importante de ce texte. En effet, le texte initialement proposé interdisait catégoriquement à un même opérateur de faire partie de plus d’un groupement d’opérateurs économiques. La version proposée par la Commission parlementaire prévoit une telle interdiction seulement si elle est dûment justifiée. Il est douteux que cette nouvelle version se conforme à l’avis du Conseil de la concurrence, très réticent par rapport à l’idée qu’un opérateur puisse faire partie de deux ou plusieurs groupements d’opérateurs économiques ou qu’un opérateur présente une offre en nom personnel et fasse simultanément partie d’un groupement d’opérateurs économiques.
En tout état de cause, les opérateurs économiques sont bien conseillés de suivre les recommandations du Conseil de la concurrence afin d’éviter toute procédure à leur encontre en matière de marchés publics.
Compte tenu des positions divergentes entre les organes de l’État, les prochaines discussions sur le projet de loi et la mise en application de la nouvelle loi pourront être suivies avec un intérêt.
Perte de monopole du LNS dans le domaine de l’anatomie pathologique
Dans un jugement du 27 avril 2017 le Tribunal administratif (ci-après « le Tribunal ») a annulé une décision ministérielle du 23 octobre 2015 portant rejet de la demande d’un laboratoire luxembourgeois tendant à l’obtention d’une autorisation pour l’extension de ses activités de laboratoire au domaine de l’anatomie pathologique.
Le ministre ayant pris la décision de refus à l’encontre de la société anonyme, après avis d’un rapport d’expertise d’un professeur et en ignorant l’avis favorable du Collège médical ainsi que de la Commission consultative des laboratoires, n’a pas vu « d’obligation ou de raisons impérieuses de créer un ou plusieurs nouveaux laboratoires d’anatomie pathologique ». Une telle ouverture du marché mènerait à une concurrence entre les différents laboratoires qui n’auraient plus la capacité et les moyens de fournir un travail fiable. Ainsi, selon le ministre de la Santé, le principe de la libre prestation des services ne s’applique pas aux examens d’anatomie pathologique.
Par ailleurs, il a été reproché à la requérante qu’elle reste en défaut de démontrer que les autres conditions légales dans le cadre des activités globales d’un laboratoire d’analyses médicales sont remplies.
Suivant l’article 3 de la loi du 16 juillet 1984, l’implantation d’un nouveau laboratoire doit correspondre à un besoin sur le plan national, régional ou local et, en outre plusieurs conditions légales et règlementaires doivent être remplies pour qu’une autorisation d’établissement puisse être accordée à un nouveau laboratoire sur le territoire luxembourgeois.
Le Tribunal a constaté que le ministre n’a pas fourni d’éléments probants qui permettraient de retenir que l’avis du médecin serait plus fiable/pertinent que ceux du Collège médical et de la Commission consultative. Quant au motif du refus du ministre, le Tribunal déduit que « c’est à tort que le ministre a conclu à l’absence d’un besoin sur le plan national, régional ou local pour l’extension d’activités de la société demanderesse au domaine de l’anatomie pathologique » en sachant qu’actuellement les laboratoires d’outre-frontières effectuent en sous-traitance de demandes d’analyses adressées au LNS. Ledit refus a visé d’assurer la pérennité du monopole étatique du LNS.
Quant au reproche de ne pas avoir rapporté la preuve que le laboratoire remplirait les conditions légales et réglementaires, le juge constate que la requérante effectue depuis des années des analyses dans d’autres domaines et qu’elle dispose ainsi de toutes les autorisations requises à cette fin.
L’État du Grand-Duché de Luxembourg vient d’interjeter appel dans cette affaire.
Source : http://www.moysebleser.lu/fr/newsletter-moyse-bleser-july-2017/#fr1